Jurisprudence – cas d’un expert qui refuse de répondre à l’un de ses chefs de mission
Un expert judiciaire de construction ne peut refuser de répondre dans son rapport à tous les points de la mission qui lui a été confiée par le Juge. Il ne peut pas se substituer au Juge en ne retenant et ne chiffrant, entre plusieurs possibilités, que les solutions de réparation les plus économiques, fixant ainsi des limites à l’indemnisation du préjudice des maîtres d’ouvrage. A défaut, une contre-expertise peut être ordonnée à la demande des maîtres d’ouvrage. C’est la solution de bon sens adoptée par le Tribunal de Grande Instance de Nantes dans un jugement du 13 septembre 2016.
Un couple a fait construire par un constructeur de maisons individuelles, en 2008-2009, une maison à usage d’habitation sur un terrain dont il est propriétaires à Saint-Vincent-sur-Oust (56). Les murs de la maison ont été réalisés en thermobriques recouvertes d’un enduit d’imperméabilisation gratté. Cet enduit a été mal dosé et réalisé et a commencé à se craqueler. Dans le cadre de la garantie de parfait achèvement, le constructeur CMI a demandé à son enduiseur de reprendre l’enduit. L’enduiseur, pour une raison qu’il est encore difficile aujourd’hui de s’expliquer, a commencé à piquer l’enduit.
Cela a bien évidemment détruit le support en briques alvéolaires, laissant des trous béants dans l’un des pignons.
L’opération a été arrêtée trop tard.
La situation s’est trouvée ensuite complètement bloquée. Les propriétaires, assistés par les avocats du cabinet Polythetis à St-Nazaire, ont obtenu devant le Juge des référés la désignation d’un expert judiciaire.
En cours d’expertise, il a été découvert que les briques posées n’étaient pas celles prévues au contrat. L’Expert a diffusé un projet de rapport en expliquant que le seul moyen de réparer les désordres en obtenant la conformité contractuelle était de démolir et reconstruire intégralement la maison, mais que cela était d’un coût selon lui disproportionné par rapport au dommage subi et qu’il préconisait donc de reboucher les trous au ciment puis de repeindre l’extérieur de la maison avec un enduit imperméable pour un coût d’environ 10.000 euros. Les propriétaires et leurs avocats ont protesté, expliquant qu’en tout état de cause il devait chiffrer la solution de démolition/reconstruction (évaluée par l’expert-conseil des propriétaires à 257.000 euros), même s’il ne conseillait pas cette solution de réparation. L’Expert n’a rien voulu entendre et a déposé le 18 octobre 2011 un rapport définitif reprenant le contenu de son pré-rapport.
Les propriétaires de la maison, assistés par les avocats du cabinet Polythetis à Saint-Nazaire, ont alors saisi le Tribunal de Grande Instance de Nantes d’une demande de contre-expertise judiciaire. Par jugement du 13 septembre 2016, le Tribunal fait droit à leur demande aux motifs suivants :
« Le grief des époux X. est fondé car [l’Expert] auquel le juge des référés avait demandé de fournir tous éléments d’analyse technique propre à faciliter l’identification de la date d’apparition des dommages et de cerner leur caractère décelable ou non par un profane au moment de la réception, a refusé de répondre à ces questions, malgré l’insistance des demandeurs. En réponse aux dires de ces derniers, il a prétendu que son rapport contenait les indications demandées, alors qu’il n’en était rien. Il avait seulement indiqué, pour certains désordres, qu’ils n’avaient pas été réservés à la réception. Par ailleurs, alors qu’il constatait que la démolition et la reconstruction de l’ouvrage était le seul moyen de remédier aux désordres constatés dans le respect des prévisions contractuelles, l’expert a refusé de chiffrer le coût de cette démolition et reconstruction en faisant valoir son incompétence en matière d’économie de la construction. Ce faisant, l’Expert a manqué à l’obligation qui était la sienne en vertu de l’ordonnance du 4 mars 2010 et de l’article 238 du Code de Procédure Civile, de préciser le coût des travaux de remise en état nécessaires. Il n’était pas demandé à l’Expert de se substituer au juge en fixant des limites à l’étendue de la réparation des préjudices des maîtres de l’ouvrage, mais de lui fournir des éléments techniques lui permettant de statuer sur les responsabilités et remèdes appropriés. […] Il pourrait en principe être demandé à [l’Expert] de compléter son rapport en lui enjoignant de répondre aux questions qui lui ont été posées. Dans la mesure, cependant, où ce technicien n’a pas simplement négligé sa mission mais a refusé de l’exécuter après avoir été rappelé à ses devoirs, il convient, avant dire droit, de désigner un autre expert. » (cf. Tribunal de Grande Instance de Nantes – 4ème Chambre – 13 septembre 2016 – RG n°11/06865).
Emmanuel KIERZKOWSKI-CHATAL, avocat du cabinet POLYTHETIS spécialisé en droit de la construction