Les éléments d’équipement de l’ouvrage : conditions d’application de la responsabilité contractuelle, de la garantie de bon fonctionnement et de la garantie décennale
En 2005, à Nantes, un promoteur acquiert un monument historique qu’il revend par lots dans le cadre d’un dispositif de défiscalisation. Le dispositif prévoit que les acquéreurs des lots doivent constituer une association syndicale libre (ASL) qui a le statut de maître d’ouvrage des travaux de transformation du monument historique en résidence soumise au statut de la copropriété. C’est l’ASL qui conclut des contrats avec un architecte, un cabinet d’assistance à maîtrise d’ouvrage et une entreprise générale, laquelle sous-traite tous les travaux. Une assurance dommages-ouvrage est bien entendu souscrite. Les appartements sont livrés à la fin de l’année 2007. L’un des copropriétaires, invoquant d’importants problèmes d’isolation thermique et d’étanchéité des fenêtres ayant conduit au départ de deux locataires successifs et à l’impossibilité de relouer, fait désigner un expert judiciaire par le Juge des référés en août 2010 avec le concours de Polythetis, cabinet d’avocats spécialisés à St-Nazaire.
Sur la base de ce rapport, malheureusement aucun accord amiable n’est trouvé et le Tribunal de Grande Instance de Nantes est saisi.
Le jugement, rendu le 3 janvier 2017 (TGI Nantes, 4ème Chambre, RG n°13/1783), décline différentes possibilités d’actions en indemnisation du maître d’ouvrage contre les constructeurs et assureurs, notamment en matière d’éléments d’équipement de l’ouvrage :
1°) – Transmission aux « ayants droits du maître d’ouvrage » l’action en responsabilité contractuelle contre l’entreprise d’origine qui avait mal réalisé ses travaux :
Le Tribunal retient la responsabilité contractuelle (article 1147 ancien du Code Civil, devenu 1240 en octobre 2016) de l’entreprise générale à l’égard du copropriétaire, « ayant droit » de l’ASL, pour lui allouer des indemnités en réparation de dommages ne relevant pas des garanties biennale ou décennale.
Une solution à rapprocher d’une jurisprudence désormais constante de la Cour de cassation sur la transmissibilité du recours en responsabilité contractuelle aux détenteurs successifs de l’immeuble.
En l’occurrence, le contrat avait été signé entre l’entreprise générale et l’association syndicale libre, qui n’a jamais été propriétaire de l’immeuble.
2°) – Soumission à la garantie décennale d’un élément d’équipement préexistant à l’ouverture du chantier et incorporé à l’ouvrage :
Les grandes fenêtres existant depuis la construction d’origine (XIXème siècle), et donnant sur une vaste place, étaient bien entendu classées et ont été conservées dans l’opération de réhabilitation. Elles se sont retrouvées totalement incorporées dans les ouvrages neufs mais n’ont pas été rénovées de telle manière qu’elles ne sont pas totalement étanches et sont mal isolées.
L’assureur déniait sa garantie au motif qu’il n’y avait pas eu de travaux sur la grande fenêtre de l’appartement et qu’il n’avait donc pas à payer une rénovation non prévue dans le projet de transformation de l’immeuble.
Le Tribunal applique les dispositions de l’article L-243-1-1-II du Code des Assurances qui dispose que les obligations d’assurance décennale et dommages-ouvrage « ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. » et en déduit que la fenêtre est soumise à garantie décennale car, bien qu’étant un élément d’équipement de l’ouvrage, elle rend l’ensemble de l’ouvrage impropre à sa destination (article 1792 du Code Civil).
Le Tribunal constate que les défauts affectant la fenêtre sont « incompatibles avec un usage d’habitation » et en déduit non seulement que l’assureur dommages-ouvrage doit indemniser mais également l’architecte qui est présumé responsable par application de l’article 1792-1 du Code Civil.
Le tribunal alloue à ce titre au copropriétaire, assisté du cabinet d’avocats Polythetis, une indemnité de 9.338 euros pour faire réparer la fenêtre.
3°) – Application du critère de « fonctionnement » : un parquet flottant mal posé ne relève pas en revanche des garanties légales obligatoires :
Le parquet flottant de l’étage, peu épais et mal posé, était en contrainte le long des cloisons ce qui induisait un phénomène de gondolement et une curieuse souplesse à la marche.
Le Tribunal considère que le parquet peut être facilement démonté sans endommager son support et n’est donc pas soumis à garantie décennale (article 1792-2 du Code Civil). Le Tribunal considère que le parquet ne peut davantage être soumis à la garantie biennale de bon fonctionnement car un parquet n’est pas un élément d’équipement dissociable capable de « fonctionner » (article 1792-3 du Code Civil). Il s’agit d’une interprétation conforme à une tendance qui se dessine à la Cour de Cassation, laissant entendre que les éléments d’équipement soumis à garantie biennale doivent impérativement disposer d’un mécanisme permettant de les actionner de telle manière qu’ils ne soient pas totalement inertes (poignées de porte, robinet, serrure, volet, etc…). C’est une interprétation très restrictive, car après tout « fonctionner » signifie « remplir sa fonction » et un parquet aux faux-airs de waterbed ne remplit pas vraiment sa fonction…
En définitive, le Tribunal considère donc que la seule action possible est fondée sur la responsabilité contractuelle pour faute prouvée (article 1147 ancien du Code Civil).
4°) – Un élément d’équipement dissociable peut relever de la garantie décennale :
Une bouche d’extraction de VMC était positionnée de telle manière qu’en fermant la porte pour prendre une douche, l’air ne pouvait plus passer, ce qui avait causé le développement de moisissures.
Le Tribunal relève que « les désordres, qui affectent un élément d’équipement, rendent l’ouvrage impropre à sa destination puisqu’ils empêchent la ventilation d’une pièce d’eau, indispensable pour préserver la santé des occupants, chauffer normalement les lieux et conserver les biens présents ».
Le Tribunal adopte la même solution pour le garde-corps de l’étage, d’une hauteur insuffisante, ce qui crée un risque de chute pour les occupants, et pour une isolation insuffisante dans le faux-grenier, ce qui rend impossible l’obtention « d’une température compatible avec l’habitation » et donc « d’un confort minimal normalement attendu d’un logement d’habitation ».
Il s’agit de la stricte application de l’article 1792 alinea 1er du Code Civil : « Tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. »
Plus surprenant, le Tribunal adopte également cette solution pour le défaut d’isolation derrière des cloisons de doublage en placo-plâtres, considérant par conséquent qu’il s’agit d’éléments d’équipements dissociables, ce qui peut paraître étrange tant les travaux de reprise supposeront des démolitions. Il est vrai toutefois qu’une jurisprudence récente semble se dégager dans le sens de l’assimilation des cloisons de doublage en placo-plâtres à des éléments d’équipement dissociables.
5°) – La non-conformité d’un appartement neuf aux caractéristiques d’un logement décent fixées par la loi SRU donne droit à l’indemnisation d’un préjudice locatif par le constructeur :
Le copropriétaire invoquait un préjudice locatif. Le tribunal lui donne raison et considère que les désordres sont tels qu’ils rendent l’appartement non conforme aux dispositions du décret 2002-120 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour application de l’article 187 de la loi n°2000-1208 du 13 décembre 2000 (dite SRU).
Le copropriétaire, assisté par les avocats spécialisés du cabinet Polythetis, obtient du Tribunal une indemnité de 20.719 euros au titre de la perte de loyers pendant 3 ans et demi de 2009 à 2013.
♦ Emmanuel Kierzkowski-Chatal, Avocat spécialiste en droit de la construction