L’utilité d’une expertise judiciaire en cas de sinistre important et complexe dans une copropriété
Transiger avec son assureur dommages-ouvrage, c’est possible. Même lorsque les montants en jeu sont très élevés. Mais il faut parfois passer quand même par la case « expertise judiciaire »…
Les faits étaient les suivants : la résidence – une copropriété d’une quarantaine de lots dont des commerces et locaux professionnels, édifiée sur six étages, occupant un « pâté de maison » dans le quartier de Ville-Port à Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) – avait été livrée par le promoteur en 2002. Elle avait très rapidement présenté un inquiétant phénomène de dégradation des façades (fissurations, détachement et chute de morceaux de béton). S’ajoutaient à cela, notamment, des infiltrations d’eau de pluie à proximité des fenêtres et baies vitrées dans les appartements et locaux professionnels, ou dans les couloirs, semblant provenir des joints de dilatation, ainsi que des problèmes d’éclatement et de chute de plaques de parement en verre habillant les façades.
Les dommages les plus graves pouvant affecter l’immeuble (dommages de nature « décennale ») étaient assurés pendant 10 ans à compter de sa livraison par une grande compagnie d’assurances, implantée dans une région notamment célèbre pour ses rillettes et ses courses automobiles. En l’occurrence, l’assureur a joué le jeu, même s’il a pris quelques précautions que l’on peut juger compréhensibles.
La procédure purement contractuelle n’a pu aboutir immédiatement à un accord transactionnel en raison du très grand nombre de dommages, de la complexité technique des travaux de réparation nécessaires et du coût exorbitant desdites réparations.
Le rôle de l’assureur dommages-ouvrage est en effet d’avancer à son assuré (en l’occurrence le syndicat de copropriété) l’argent nécessaire à la stricte réparation du dommage, puis il se retourne contre les responsables pour obtenir remboursement.
En l’espèce le coût des travaux de réparation était estimé à plusieurs millions d’euros.
L’assureur dommages-ouvrage ne voulait pas courir le risque de régler à son assuré des millions d’euros qu’il ne pourrait ensuite récupérer contre les véritables responsables (soit qu’il ait payé trop cher pour réparer un désordre garanti, soit qu’il ait payé pour réparer des désordres ne relevant pas de ses garanties ni des responsabilités des constructeurs). Une expertise judiciaire a donc été ordonnée à l’automne 2009 à la demande du syndicat de copropriété, assisté par les avocats du Cabinet Polythetis. Une telle démarche consiste à faire désigner par le Président du tribunal un expert impartial inscrit sur une liste d’experts agréés par la Cour d’Appel. Cette expertise s’est déroulée en présence de toutes les entreprises concernées, c’est-à-dire la quasi-totalité des entreprises ayant participé à la construction de l’immeuble, ainsi que leurs assureurs, certains de leurs fournisseurs, les architectes, bureaux d’études et de contrôle.
L’enjeu était considérable puisqu’à défaut d’être indemnisé par les constructeurs et assureurs, chacun des copropriétaires aurait dû financer une partie des travaux pour un montant équivalent à plus de la moitié de la valeur de son lot. Bien évidemment dans de telles conditions, il était très difficile sinon impossible de vendre son appartement, tout acquéreur étant obligatoirement averti de la situation (voir article 5 décret du 17 mars 1967 depuis la loi SRU), ce qui semble au demeurant la moindre des choses dans un tel cas de figure.
Il a fallu pas moins de sept ans, de nombreuses réunions se déroulant sur des journées entières et auxquelles participaient des dizaines de personnes, des coûteuses analyses en laboratoires, etc…, pour que l’Expert judiciaire dépose un volumineux rapport d’expertise judiciaire très complet et argumenté.
L’Expert relève notamment un défaut d’enrobage des ferraillage des bétons conduisant, à moins de 300 m de la mer, à des phénomènes d’oxydation et carbonatation. Il conclut sans ambiguité au caractère décennal des désordres, ce qui est d’ailleurs dans la droite ligne de ce qui a déjà été conclu et jugé par des experts et cours d’appels dans des cas similaire (cf. notamment Cour d’Appel de Paris – 19ème Chambre – Section A – 21 janvier 2009 – « Syndicat des Copropriétaires de la Résidence du Prieuré c./ Atelier AA et MMA » – RG n°06/15512 ou encore Cour d’Appel d’Aix-en-Provence – 3ème Chambre A – 4 novembre 2011 – « GAN et GENERALI c./ Syndicat des Copropriétaires de la Résidence Villa Saint-Raphaël » – RG n°10/00421).
Sur la base de ce rapport d’expertise judiciaire, et environ 6 mois après son dépôt, la copropriété assistée par les Avocats du Cabinet Polythetis et l’assureur dommages-ouvrage ont conclu en décembre 2016 une transaction en exécution de laquelle une indemnité de 2.750.000,00 euros a été réglée au syndicat des copropriétaires ce qui va lui permettre de commencer les travaux courant 2017. Ces travaux sur parties communes mettront fin aux problèmes affectant les façades et à la cause des infiltrations dans les appartements. La transaction prévoyait en outre la prise en charge par l’assureur dommages-ouvrage de la totalité des frais d’expertise judiciaire (soit près de 100.000 euros), et d’une indemnité complémentaire au titre de ses autres frais de justice.
Désormais les copropriétaires ne poursuivent la procédure que pour obtenir à l’encontre des entreprises responsables et de leurs assureurs, l’indemnisation de leurs préjudices propres (dommages à l’intérieur de leurs lots, impossibilité de louer ou vendre pendant la durée de la procédure et les travaux de réparation, gêne dans l’occupation ou l’exploitation des lieux, etc…), le syndicat réclamant quant à lui le remboursement du solde des frais de justice qu’il a exposés.
E.Kierzkowski-Chatal, Avocat spécialisé en droit de la construction